J’ai deux passions : faire la cuisine et cultiver le bonheur.
Cochon laqué et blanquette
D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai aimé manger. Le repas était synonyme de joyeuses et débordantes réunions familiales où se succédaient d’innombrables assiettes, d’heures interminables à la table du dîner passées à refaire le monde, et d’un sens du partage au quotidien. Je viens d’une famille où l’on adore recevoir, aussi bien autour d’un cochon de lait laqué que d’une blanquette. Oui, notre table était bercée entre le Vietnam paternel et les terres normandes de ma mère. Ma mère, justement, excellait dans l’art de mettre les grands plats dans les petits. Elle nous a inculqué l’une des plus grandes joies de l’existence qui consiste à transformer le repas en fête, le banal en exceptionnel, le familier en éternité. Tant et si bien que la nourriture occupait toutes mes pensées. Depuis, rien n’a changé.
Toutefois, il y eut un gros « mais » dans cette histoire, comme dans toute autre. Cela m’a poussé à reconsidérer la place de la cuisine et surtout celle du bonheur dans mon existence. Je vous explique ici pourquoi, et surtout comment je suis parvenue à mener une vie davantage harmonieuse qui me permet aujourd’hui de réaliser les aventures professionnelles de mes rêves.
HEC, Sciences Po, et les heures grises
Je dois avant tout dire que la vie m’a particulièrement gâtée. J’ai eu la chance de visiter les restaurants les plus incroyables, des petites gargotes aux tables gastros, et de partager mes recommandations sur le blog Le Grumeau que j’ai co-fondé et animé avec une grande détermination durant plus de trois ans. Toutefois, je sentais que quelque chose n’allait pas. Que quelque chose me manquait.
Pas encore arrivée à l’âge adulte, je me suis surprise à questionner en profondeur le sens de la vie jusqu’à glisser la pente de sombres périodes. Toute chose égale par ailleurs, ça n’a certainement pas aidé que Schopenhauer soit l’invité complice de mes nuits. Inutile d’y aller par quatre chemins, autant jeter le mot : dépression. Un bonheur n’arrivant jamais seul, la nourriture est devenue mon soulagement et ma punition lorsque la dépression s’est accompagnée de troubles anxieux et boulimiques. Il faut dire que la nourriture, si fondamentale pour moi, me tendait naturellement les bras. Toujours présente, jamais décevante. Je me suis isolée, je n’avais plus d’énergie à donner à qui que ce soit à commencer à moi-même. Certains jours, je ne pouvais même pas soutenir le regard d’un gamin de cinq ans croisé au hasard des rues sans sentir les sanglots de honte gonfler mes yeux. Je bataillais pour réaliser les choses qui me semblent aujourd’hui d’une banalité crasse. Prendre une douche par exemple. Bonjour l’odeur de raton laveur empaillé. Bref, cela m’apparaissait à chaque instant comme si je ne pouvais plus assumer une tâche de plus. La vie était une lutte constante.
Face aux vagues, j’ai malgré tout dégoté une planche de surf et suis parvenue à mener mes études à bien. Derrière quelques couches de fond de teint et d’auto-persuasion, me voici diplômée du programme Grande École d’HEC et de Sciences Po Paris, avant d’entamer une carrière en marketing digital à Zürich en Suisse. Des expériences incroyables. Cependant les projets qui m’ont le plus nourrie étaient ceux qui se déroulaient en cachette des bancs de l’école ou des salles de réunion. Bien sûr, ces projets revenaient à la nourriture – le blog déjà évoqué et une start-up – et à la question du bonheur – ma guérison et la conquête d’une spiritualité joyeuse. Et je cuisinais encore et toujours, inlassablement.
J’ai longtemps cru que ma confiance résultait de mes accomplissements, je suis maintenant persuadée que ma confiance, la vraie, vient de la capacité à m’être relevée de mes mauvaises passes. D’en sortir incommensurablement plus forte.
Apprendre à vivre, réapprendre à manger
Ainsi, j’ai finalement trouvé mes raisons de vivre. En prenant soin de ma santé mentale et en redécouvrant la beauté de l’art de manger, la quête de sens s’est dénouée. Au coeur de tout cela ? La compassion. La compassion rend la vie si juteuse et si valable ; qu’il s’agisse de la compassion qu’on exprime envers soi-même en prenant soin de sa santé, comme de celle dirigée vers le monde qui nous entoure. La compassion irradie, elle ne se limite en aucun cas à un territoire ; la beauté de la chose c’est qu’elle contamine toutes nos expériences avec la clarté d’une évidence.
J’ai exploré le monde du développement personnel et appris ce que cela veut dire réellement de prendre soin de soi – que ce n’était pas se goinfrer de glaces et se laisser aller à des lectures aussi déprimantes que complaisantes du soir au matin – et des autres. Par ailleurs, je ne pourrais exprimer la mesure de la gratitude que je ressens envers mon entourage, et aussi envers les podcasts qui ont enrichi mes pensées.
J’ai parallèlement découvert que la nourriture touche bien au-delà de la fonction vitale de s’alimenter. Elle est un moyen, un acte même, car elle est sans cesse une pratique en mouvement, de créer du lien. Elle est au premier chef une connexion à son propre plaisir, puis une connexion de soi à soi-même entre le corps et l’esprit, une connexion à sa communauté et à la joie qu’on donne à autrui en lui faisant à manger, une connexion à tous les êtres sensibles, et enfin une connexion à la planète que nous avons tous en partage. La nourriture me lie aussi au rythme des saisons, aux cerises du printemps et aux courges d’hiver, en d’autres termes au rythme de la vie. J’ai compris que je pouvais vivre de manière plus responsable, laisser une terre meilleure aux futures générations tout en exprimant davantage d’altruisme envers les hommes et les animaux, à travers mes choix alimentaires. J’ai ainsi adopté une alimentation végétale depuis 2016. Sans jamais sacrifier mon plaisir de manger. En visant la bienveillance inconditionnelle à l’égard de tous les êtres humains et sensibles, d’après la conviction que nous avons tous des émotions et ressentons la douleur, et de la planète, mon système éthique m’apparaît enfin cohérent.
Et maintenant, quels sont mes projets ?
J’ai décidé de créer le podcast Patate dans le but de me marrer dévoiler, au détour d’une interview, la manière dont l’alimentation construit la vie de mon invité. Si mon parcours m’a enseigné une chose, c’est que manger est un acte qui engage. Il affecte profondément notre quotidien, notre bien-être, notre identité, au fond qui nous sommes. Je dois naturellement avouer qu’il y a aussi un brin de curiosité titillé par la découverte de ce que chacun met dans son frigo ou mangeait dans son enfance. J’espère que vous apprendrez tout un tas de choses et terminerez l’écoute des épisodes en ayant la patate. Désolée, j’étais obligée de la faire.
Par ailleurs, Christian, mon associé, et moi travaillons sur l’ouverture d’un restaurant à Paris. Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus pour le moment, mais ce dont je suis sûre c’est qu’il n’y a pas assez de mots pour décrire mon enthousiasme. Je construis une vie professionnelle alignée avec mes valeurs, je travaille avec la personne la plus chouette du monde – et l’équipe s’agrandira avec des personnes géniales elles aussi -, je vais donner de la joie aux gens. J’ai toujours rêvé d’être restauratrice, et je le dis avec d’autant plus d’humilité que j’ai pu voir combien ce métier était coûteux, mais incroyablement beau. C’est aussi une manière de redécouvrir les souvenirs enfouis de mon père et les miens, en retissant le lien de mes origines asiatiques. Je réunis enfin mes passions : faire la cuisine, créer du bonheur, par et pour les autres. Et tout cela, pour moi, ça n’a pas de prix.